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Concurrence, distribution, consommation

Concurrence Distribution Consommation n°4/2021

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Du côté de Bruxelles

Concurrence : une filiale pourrait-elle être responsable des pratiques anticoncurrentielles de sa mère ? La CJUE devra bientôt trancher !

concurrence distribution consommation

Cette question se pose dans le cadre de l’affaire Sumal / Mercedes Benz Trucks Espana (MBTE), aff. C-882/19 à l’occasion des conclusions de l’Avocat général Pitruzzella du 15 avril 2021.

Dans cette affaire, la société Sumal a formé une action en dommages et intérêts à l’encontre de MBTE s’agissant d’une vente de camion pendant la période où était en cours une entente sanctionnée par la Commission européenne (dite « follow-on action »). Alors que la décision de la Commission ne visait pas MBTE, Sumal se dit victime d’une augmentation des prix induite par la participation de la société mère de MBTE, la société Daimler, à l’entente.

Dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est ainsi appelée à se positionner sur la question de la responsabilité civile d’une filiale pour le préjudice découlant d’une pratique anticoncurrentielle réalisée par la société mère, du fait que les sociétés en question constituent une « unité économique ».

En droit de la concurrence, la notion d’ « entreprise » a en effet un caractère fonctionnel, ce qui signifie que différentes entités juridiquement indépendantes peuvent être considérées comme constituant une seule entreprise du moment que, sur le marché, elles agissent comme une seule et même « unité économique ».

Sur cette base, la jurisprudence a retenu classiquement la responsabilité de la société mère pour les agissements de sa filiale, dans la mesure où (i) la première exerce une influence déterminante sur le comportement de la seconde et (ii) il existe une unité de comportement sur le marché qui les relie entre elles dans une unité économique.

Aux termes de ses conclusions du 15 avril dernier, l’avocat général considère que le facteur décisif de la responsabilité parentale est le second critère, c’est-à-dire l’unité économique agissant comme une seule entreprise sur le marché. Dès lors, toutes les parties formant l’unité économique participeraient à la réalisation du comportement anticoncurrentiel et pourraient voir leur responsabilité engagée.

L’avocat général plaide ainsi en faveur d’une responsabilité dite « descendante », c’est-à-dire d’une responsabilité de la filiale pour les agissements anticoncurrentiels de sa mère.

Au soutien de sa thèse, l’avocat général précise que dans le cas d’une responsabilité descendante, le caractère unitaire de l’activité économique résultera, outre l’influence déterminante exercée par la société mère, du fait que l’activité de la filiale est, d’une manière ou d’une autre, nécessaire à la réalisation du comportement anticoncurrentiel (par exemple, parce que la filiale vend les biens objet de l’entente), sans toutefois préciser cette notion (pt. 57 des conclusions de l’avocat général).

La thèse soutenue par l’avocat général est particulièrement critiquable puisqu’elle revient à consacrer un régime de responsabilité sans faute des parties formant une unité économique du fait du comportement anticoncurrentiel de l’une d’entre elles. Or, un tel régime de responsabilité se heurte au principe de l’individualité des peines et des sanctions, mais aussi au principe « Nulla poena sine culpa » (pas de peine sans faute).

C’est dans le respect de ces principes que la CJUE avait retenu la responsabilité « ascendante » des sociétés mères pour les pratiques anticoncurrentielles de leurs filiales, dans la mesure où les mères exercent une influence déterminante sur leurs filiales, susceptible de caractériser une faute (CJCE, 10 septembre 2009, aff. C-97/08, Akzo Nobel, pt. 77).

Si la CJUE retenait la thèse de l’avocat général de l’affaire Sumal et admettait le principe de la responsabilité descendante en droit de la concurrence, elle faciliterait certes l’exercice des actions en réparation dite « follow-on action », mais elle remettrait en cause ces principes fondamentaux des droits de la défense. Les conséquences d’une telle décision seraient donc particulièrement importantes.

Affaire à suivre donc !

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En France

Affaire des endives : la Cour d’appel de Paris divise par trois le montant des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence

concurrence distribution consommation

Mettant un terme à une affaire-fleuve de presque 10 ans, la Cour d’appel de Paris a confirmé par son arrêt du 1er juillet 2021 n°19/00595 l’existence d’une entente anticoncurrentielle sur le marché français des endives, mais a réduit drastiquement le montant des amendes qui est passé de 3,8 millions d’euros à 1,1 million d’euros.

Par un arrêt du 15 mai 2014, la Cour d’appel de Paris avait déjà réformé dans toutes ses dispositions la décision n°12-D-08 du 6 mars 2012 par laquelle l’Autorité de la concurrence avait condamné les producteurs d’endives pour des pratiques de fixation collective de prix minima de vente, concertation relative aux quantités mises sur le marché et échanges d’informations stratégiques. À la faveur d’un arrêt du 12 septembre 2018, la Cour de cassation, intervenant à la suite de l’arrêt de la CJUE du 14 novembre 2017 (C-671/15), était venue censurer l’arrêt de la cour d’appel de Paris de 2014. C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Paris s’est de nouveau prononcée sur ce dossier dans son arrêt du 1e juillet 2021.

Dans cette affaire, se posait en particulier la question de l’articulation des règles du droit de la concurrence avec les règles de la politique agricole commune (PAC), qui incitent notamment les producteurs agricoles à se regrouper dans le cadre de leur activité.

À cet égard, la CJUE a proposé une grille d’analyse en précisant que les pratiques en question :

  • entrent dans le champ d’application de l’article 101, §1 TFUE qui prohibe les ententes, dès lors qu’elles sont convenues entre différentes organisations de producteurs (OP) ou associations d’organisations producteurs (AOP) ou avec des entités non reconnues par un État membre aux fins de la réalisation d’un objectif défini dans le cadre de l’organisation commune du marché concerné (OCM) ;
  • n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 101, §1 TFUE, dès lors qu’elles sont convenues entre membres d’une même OP ou d’une même AOP reconnue par un État membre et qu’elles sont strictement nécessaires à la poursuite du ou des objectifs assignés à l’OP ou à l’AOP concernée en conformité avec la règlementation de l’Union européenne.

Reprenant cette grille d’analyse, la Cour a contrôlé, pour chacune des pratiques visées dans cette affaire, les trois points cumulatifs suivants :

  1. les entités ayant mis en œuvre la pratique ont-elles fait l’objet d’une reconnaissance par un État membre en tant qu’OP, AOP;
  2. la pratique revêt-elle un caractère purement interne à une seule OP ou à une seule AOP;
  3. la pratique répond-elle aux objectifs confiés par la règlementation européenne aux OP et AOP.

Dans le cas d’espèce, la Cour répond par la négative au second point de contrôle dans la mesure où les pratiques ont été mises en œuvre entre différentes OP et AOP. Les pratiques sont donc soumises à la prohibition des ententes anticoncurrentielles et peuvent à ce titre être sanctionnées.

C’est en revanche au stade de l’évaluation da sanction que l’analyse de la Cour diverge de celle de l’Autorité de la concurrence. La Cour estime en effet que plusieurs éléments viennent tempérer la gravité des pratiques, et en particulier :

  • la complexité de l’articulation des règles de concurrence avec les règles de la PAC ;
  • le fait que la DGCCRF n’a mis en garde les OP et AOP concernées que 2 ans après le début des pratiques sur le risque d’illicéité de ces pratiques. Avant ces mises en garde, les OP et AOP pouvaient donc légitimement croire en la licéité de leurs comportements et penser qu’elles n’entraient pas dans le champ de la prohibition des ententes ;
  • l’incertitude quant à la mise en œuvre des règles de la PAC, y compris après les mises en garde de la DGCCRF, l’arrêt rendu par la CJUE en 2017 confirme l’existence d’un doute vraisemblable et légitime sur le caractère illicite des pratiques.

La gravité atténuée des pratiques, associée à un faible dommage à l’économie et des durées et degrés de participation variables de parties concernées, ont conduit la Cour à réduire le montant de l’amende infligée.

Cet arrêt clôture donc une saga juridique particulièrement intéressante en donnant de véritables outils d’analyse pour les opérateurs du secteur des fruits et légumes frais.

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Bataille pour la rémunération des droits voisins : Google fait appel de l’amende de 500 millions d’euros prononcée par l’Autorité pour non-respect de l’injonction de négocier de bonne foi avec les éditeurs et les agences de presse

concurrence distribution consommation

À la suite du non-respect des mesures conservatoires prononcées lors de sa décision du 9 avril 2020, l’Autorité a condamné Google, le 12 juillet 2021, à une amende de 500 millions d’euros. Elle l’a par ailleurs soumise à une obligation de présenter une offre de rémunération aux éditeurs et agences de presse pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés dans un délai de deux mois sous peine d’astreinte pouvant aller jusqu’à 900 000 euros par jour de retard. Google a fait appel de cette décision début septembre considérant qu’elle avait pris des initiatives pour répondre aux injonctions et qu’elle était une des seules entreprises à avoir proposé une rémunération au titre des droits voisins.

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I. Des injonctions imposées par l’Autorité de la concurrence à Google dans le cadre de la loi sur les droits voisins

Pour rappel, la loi n°2019-7751 du 24 octobre 2019 sur les droits voisins2 a pour objet de mettre en place le cadre de négociations équilibrées afin de permettre la rémunération des éditeurs et agences de presse pour la reprise partielle de leurs publications de presse par les plateformes numériques.

À la suite de cette loi et au motif de s’y conformer, Google avait décidé unilatéralement de ne plus afficher les extraits d’articles, les photographies et les vidéos au sein de ses différents services, sauf autorisation à titre gratuit de la part des éditeurs et des agences de presse.

Par une décision n°20-MC-01 du 9 avril 2020, l’Autorité de concurrence avait constaté que les pratiques de Google sur le marché des services de recherche généraliste étaient susceptibles de constituer des abus de position dominante et de dépendance économique. S’agissant de l’abus de position dominante, elle avait noté que les pratiques de Google pouvaient être assimilées à l’imposition de conditions de transaction inéquitables, à des pratiques discriminatoires et à un contournement de la loi sur les droits voisins. L’Autorité avait ensuite jugé que le comportement de Google était susceptible d’avoir entraîné des effets de deux ordres : (i) de dégrader la situation des éditeurs et des agences de presse et (ii) de placer les concurrents de Google dans une situation d’asymétrie par rapport à elle.

Elle avait donc prononcé des mesures conservatoires à l’encontre de Google sur le fondement de l’article L.464-1 du Code de commerce (voir notre newsletter n°3/2020).

Parmi les mesures conservatoires prononcées, l’Autorité avait notamment enjoint Google à :

  • entrer dans des négociations de bonne foi avec les éditeurs et les agences de presse dans l’objectif de discuter des modalités d’une reprise et d’un affichage de leurs contenus protégés ainsi que de la rémunération en application de la loi sur les droits voisins ; et
  • veiller à respecter un principe de stricte neutralité au cours des négociations, afin que les éditeurs et agences de presse ne subissent pas les conséquences défavorables de celles-ci par le biais d’une indexation, d’un classement et d’une présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services qui seraient affectés par les négociations en cours.

Cette décision avait ensuite été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 octobre 20203.

Néanmoins, en septembre dernier, des éditeurs de presse4 ainsi que l’AFP ont saisi l’Autorité de concurrence estimant que l’entreprise américaine ne respectait pas les mesures prononcées par l’Autorité.

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II. Google condamnée pour non-respect de ces injonctions

Par une décision n°21-D-17 du 12 juillet 2021 rendue sur le fondement de l’article L.464-2 du Code du commerce, l’Autorité de la concurrence a sanctionné Google par une amende de 500 millions d’euros, pour ne pas avoir respecté les injonctions prononcées dans le cadre de sa décision n°20-MC-01 du 9 avril 2020 précitée.

Elle a considéré que Google n’avait pas respecté certaines de ces injonctions et notamment qu’elle aurait :

  • manqué à son obligation de négociation de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse (injonction n°1)5,
  • manqué à son obligation de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations nécessaires à l’évaluation transparente de la rémunération (injonction n°2)6,
  • manqué à son obligation de neutralité sur la façon dont sont indexés, classés et, plus généralement, présentés les contenus protégés sur ses services (injonction n° 5)7,
  • manqué à son obligation de neutralité des négociations relatives aux droits voisins vis-à-vis de toute autre relation économique avec les éditeurs et agences de presse (injonction n°6)8.

De manière générale, l’Autorité a considéré que Google n’avait pas respecté ni la lettre ni l’esprit des injonctions. Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité, a ainsi déclaré que « lorsque l’Autorité impose des injonctions aux entreprises, celles-ci sont tenues de les appliquer scrupuleusement, en respectant leur lettre et leur esprit. Au cas d’espèce, tel n’a malheureusement pas été le cas »9.

L’Autorité note également que les pratiques sont d’une gravité exceptionnelle, notamment en ce que la méconnaissance de la Décision n°20-MC-01, « loin d’être ponctuelle ou advenue par inadvertance paraît s’inscrire dans la continuation d’une opposition au principe même des droits voisins »10. Ainsi, le comportement de Google relève d’une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect de l’obligation de négocier de bonne foi et qui, mise en place au niveau mondial, «vis[e] à cantonner autant que possible le versement d’une rémunération aux éditeurs et agences de presse »11.

L’Autorité considère par ailleurs que l’établissement d’un lien entre la rémunération des droits voisins au titre des utilisations actuelles des contenus protégés et la participation à de nouveaux services tels que Showcase constitue un détournement de l’objectif des injonctions susceptible d’accroître encore davantage la position dominante de Google sur le marché des services de recherche généraliste12. Elle note en outre qu’il existe une forte asymétrie d’informations entre elles et les éditeurs et agences de presse.

Le non-respect de ces injonctions a donc motivé l’application à Google d’une sanction de 500 millions d’euros sur le fondement de l’article L. 464-2 I. du Code de commerce, ce qui constitue la plus forte amende infligée par l’Autorité pour non-respect d’une de ses décisions. On rappelle que, sur ce fondement, l’Autorité peut infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial hors taxes de l’entreprise concernée le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos précédents.

Par ailleurs, sur le fondement du II. de l’article L. 464-2 du Code de commerce, l’Autorité de la concurrence a ordonné à Google de :

  • « présenter une offre de rémunération pour les utilisations actuelles de leurs contenus protégés» à la fois aux éditeurs et aux agences de presse et
  • de fournir les informations nécessaires à l’évaluation transparente de la rémunération prévues à l’article L. 218-4 du Code de propriété intellectuelle et notamment une estimation des revenus totaux que génère l’affichage des contenus protégés en France sur les services de Google et la part des revenus générés par l’éditeur ou l’agence de presse à l’origine de la demande de rémunération, sous peine de se voir infliger des astreintes qui pourront aller jusqu’à 900 000 euros par jour au total.

Sur ce fondement, l’Autorité peut infliger aux entreprises des astreintes dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires mondial total journalier moyen, par jour de retard à compter de la date qu’elle fixe, pour les contraindre (i) à exécuter une décision les ayant obligés à mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles, ayant imposé des conditions particulières ou ayant rendu un engagement obligatoire en vertu du même article ou (ii) à respecter les mesures conservatoires prononcées en application de l’article L. 464-1.

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III. L’appel de Google en réaction à la décision du 12 juillet 2021

Le 1er septembre 2021, Google a fait appel de la décision de l’Autorité n°21-D-17.

L’entreprise américaine est en désaccord avec certains arguments de l’Autorité et juge le montant de cette amende dans le dossier des droits voisins « disproportionné ».

On rappelle que l’appel de Google n’a pas d’effet suspensif conformément à l’article L. 464-8 du Code de commerce et que celle-ci doit acquitter le montant de l’amende.

La procédure de mesures conservatoires assorties d’injonctions montre ici toute la puissance de l’Autorité qui peut se saisir d’office et dispose ainsi d’un outil particulièrement efficace et rapide.

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Les chiffres du e-commerce entre la France et l’Allemagne

concurrence distribution consommation

Dans son dernier rapport annuel pour 2021 concernant les chiffres clés du e-commerce, la Fevad (Féderation e-commerce et vente à distance) révèle certains chiffres intéressants de comparaison entre la France et l’Allemagne :

  • Dans le top 5 du e-commerce en Europe :
    • La France se situe en deuxième position avec 112 milliards d’euros et une progression de 9 % par rapport à 2019 derrière le Royaume-Uni qui caracole en tête avec 236 milliards d’euros et une progression de 2 % par rapport à 2019.
    • L’Allemagne est en troisième position avec 94 milliards d’euros et une croissance de 2 % par rapport à 2019.
  • La performance des magasins physiques vendant également en ligne : en Allemagne et en France, 52 % des commerces indépendants qui vendent en ligne sont en croissance contre 39 % pour les commerces qui fonctionnent uniquement hors-ligne. Les principaux avantages de la vente en ligne sont un chiffre d’affaires plus élevé et une augmentation de la fréquentation de leurs magasins physiques.

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En Allemagne

Amendes pour les fabricants et les distributeurs d’instruments de musique allemands : les prix de vente imposés dans la pratique décisionnelle du Bundeskartellamt

concurrence distribution consommation

Le Bundeskartellamt a infligé des amendes pour un montant total d’environ 21 millions d‘euros à trois fabricants et deux distributeurs d’instruments de musique13, sanctionnant ainsi des pratiques de prix de vente imposés et, dans le cas des deux distributeurs, également d‘entente horizontale sur les prix.

Le Bundeskartellamt avait lancé une enquête en avril 2018 après avoir reçu des indications d’infractions au droit de la concurrence dans ce secteur.

Au cours de l’enquête, l’autorité a découvert des pratiques de prix de vente imposés chez les trois principaux fabricants d’instruments de musique, Yamaha, Roland et Fender. Ceux-ci avaient régulièrement donné à leurs partenaires de distribution, notamment les deux grands distributeurs Thomann et Music Store, des consignes portant sur des prix de vente minimaux à respecter.

Les fabricants avaient en effet systématiquement communiqué aux distributeurs les prix minimums à respecter et contrôlaient ensuite continuellement ces prix, en utilisant dans certains cas également un logiciel de suivi des prix (« scraping »). Si les prix étaient inférieurs aux prix fixés, les fabricants contactaient les distributeurs et leur demandaient d’augmenter les prix. Dans certains cas, les fabricants menaçaient d’imposer ou ont imposé des sanctions telles que l’arrêt des livraisons ou la dégradation des conditions commerciales.

Dans de nombreux cas, les distributeurs ont adhéré aux objectifs de prix et les ont considérés comme contraignants. Parfois, ce sont les distributeurs eux-mêmes qui demandaient aux fabricants de veiller à ce que les autres distributeurs respectent également les prix minimums.

S’agissant de ces pratiques verticales, l’autorité établit que les infractions ont duré plusieurs années entre 2005 et 2018.

Dans le cadre de l’enquête relative aux prix de vente imposés en matière d’entente verticale, l’autorité a également révélé des accords horizontaux sur les prix entre les distributeurs Thomann et Music Store entre 2014 et 2018. Ces accords portaient sur des augmentations de prix pour certains produits et n’avaient entraîné des changements de prix que pendant une courte période.

Les prix de vente imposés constituent l’une des priorités du Bundeskartellamt. En 2016, l’autorité a ainsi pu examiner l’affaire dite « verticale ». Dans cette affaire, elle a infligé un total de 38 amendes (montant global : 260,5 millions d’euros) à 27 entreprises du secteur alimentaire pour des prix de vente imposés14. Le Bundeskartellamt a ensuite repris l’expérience acquise dans le cadre de cette affaire afin de rédiger un document d’orientation plus général dénommé « Hinweise zum Preisbindungsverbot im Bereich des stationären Lebensmitteleinzelhandels »15 de juillet 2017. En particulier, des exemples d’élaboration de prix licites et de consignes de prix de vente interdites sont donnés. Ce document d’information est destiné à servir de guide aux entreprises du secteur de la distribution alimentaire en particulier, mais il peut également inspirer les entreprises d’autres secteurs.

Même après la conclusion de la grande affaire dite verticale, le Bundeskartellamt a eu l’occasion d’examiner à plusieurs reprises des affaires de fixation verticale des prix. Récemment encore, elle a infligé une amende de 2 millions d’euros à un fabricant de sacs à dos scolaires qui avait communiqué à ses distributeurs des consignes concernant leurs prix de vente16.

Dans de nombreux secteurs, les fabricants ont recours à des systèmes de fixation de prix pour protéger la vente au détail dans des points de vente physiques (« brick and mortar »). En fixant des prix minimaux également pour le commerce de détail en ligne, ils veulent éviter le problème dit du « showroom » qui désigne la situation dans laquelle les clients essaient un produit en magasin, mais l’achètent ensuite beaucoup moins cher en ligne.

Cette question a été reprise au niveau européen : dans ses projets de réforme du Règlement d’exemption par catégorie pour les accords verticaux et de lignes directrices sur les restrictions verticales, la Commission européenne propose de permettre aux fabricants d’introduire un système de double prix, c’est-à-dire de facturer un prix différent à un même acheteur pour les produits destinés à être revendus en ligne que pour ceux destinés à être revendus hors ligne, si cela sert à compenser les différences de coûts entre les canaux de distribution17. Jusqu’à présent, une telle approche constituait une restriction caractérisée inadmissible18. Le Bundeskartellamt est plutôt sceptique à cet égard ; il estime que les systèmes de double prix ont un effet similaire à une interdiction complète de la distribution en ligne19). Ses décisions des prochaines années montreront probablement s’il est prêt à adoucir sa ligne sur ce point.

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Et chez hw&h

Colloque sur les buts monumentaux du droit de la compliance

concurrence distribution consommation

Dominique Heintz est intervenu le 16 septembre dans le cadre du colloque organisé par l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines ayant pour thème « Les buts monumentaux de la compliance »  pour apporter sa contribution à la recherche d’une définition des buts monumentaux dans les relations fournisseurs/distributeurs. Les contributions de ce colloque feront l’objet d’un ouvrage collectif à paraître en complément de l’ouvrage « Les outils de la compliance » sous la direction de Marie-Anne Frison-Roche aux éditions Dalloz.

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  1. La loi n° 2019-775 du 24 octobre 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse transpose en droit français la directive n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. []
  2. Droits accordés aux personnes impliquées dans une œuvre sans en être les auteurs premiers. Ainsi, elles peuvent exploiter l’œuvre et prétendre à une rémunération prévue par la loi. []
  3. Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 7, 8 octobre, n°20/08071 []
  4. Le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine (SEPM), l’Alliance de la Presse d’Information Générale, le Syndicat de la presse quotidienne nationale, le Syndicat de la presse quotidienne régionale, le Syndicat de la presse quotidienne départementale et le Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (conjointement « l’APIG »). []
  5. Voir §319 et suiv. de la décision n°21-D-17 précitée []
  6. Voir §420 et suiv. de la décision n°21-D-17 précitée []
  7. Voir §487 et suiv. de la décision n°21-D-17 précitée []
  8. Voir §464 et suiv. de la décision n°21-D-17 précitée []
  9. Communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence « Rémunération des droits voisins : l’Autorité sanctionne Google à hauteur de 500 millions d’euros pour le non-respect de plusieurs injonctions », 13 juillet 2021 []
  10. §526 de la décision n°21-D-17 précitée []
  11. §526 de la décision n°21-D-17 précitée []
  12. §530 de la décision n°21-D-17 précitée []
  13. Décisions des 3, 24 et 30 septembre, 18 décembre 2020, 15 février 2021 et 24 juin 2021 – B11-33/19 ; B11-31/19, voir communiqué de presse (anglais) du 5 août 2021 []
  14. Voir, par exemple, le communiqué de presse (anglais) du BKArtA du 15 décembre 2016 []
  15. Orientation sur l’interdiction de prix de vente imposés dans le secteur du commerce de détail alimentaire dans des points de vente physiques []
  16. Voir communiqué de presse (anglais) du 17 août 2021 []
  17. Paragraphe 195 du projet des lignes directrices sur les restrictions verticales []
  18. Paragraphe 52 (d) des lignes directrices sur les restrictions verticales dans leur version actuellement en vigueur []
  19. Voir la prise de position du Bundeskartellamt d’octobre 2019 „Quo vadis Vertikal-GVO – Zeit für eine Anpassung an die Digitalökonomie?“ (Quo vadis Règlement sur les catégories d’accords verticaux – est-ce qu’il est temps de s’adapter à l’économie numérique? []